Oh my Gush...

Des rangées complètes de végétaux réparties sur six étages, des fruits d’un rouge éclatant, des coccinelles et des bourdons : on se sent en nature. Ou presque. Parce qu’il suffit de lever les yeux au plafond pour se rappeler qu’on est dans une ancienne usine de textile en plein cœur d’Ahuntsic. C’est ici que la compagnie Gush produit annuellement 14 tonnes de fraises, été comme hiver. 

Par Alexandre Couture Journaliste pour FAIT QUE

Je me tiens là, au milieu du bourdonnement, dans cet espace (presque trop) lumineux. Et je ne peux m’empêcher de ressentir une forme de fascination. Il y a quelque chose de profondément humain dans cette histoire.

Cette capacité qu’ont certains entrepreneurs et certaines entrepreneures, comme Ophelia Sarakinis, à transformer une idée en réalité tangible, m’impressionne toujours.

La fondatrice de la compagnie est ce que je qualifierais de foodie scientifique, avec son diplôme en technologie agricole et son amour inconditionnel pour la bouffe.

Mais ça vient d’où, cette idée de cultiver des fraises en hiver ?

La Montréalaise n’avait que 15 ans lorsqu’elle a découvert les premières racines de son engagement pour l’agriculture urbaine. Après un bénévolat dans une ferme bio à l’ouest de l’île, une flamme s’est allumée en elle.

« Cultiver de la nourriture, c’est plus qu’un acte quotidien, c’est une façon de redonner à la terre, à la communauté », résume-t-elle le plus simplement du monde.

Son rêve de créer une ferme verticale ne s’est pas réalisé du jour au lendemain. Ophelia a d’abord expérimenté, dans le grenier de la maison familiale, un système hydroponique patenté avec les moyens du bord. Elle s’est lancée avec des laitues, des fines herbes, mais ce sont les fraises qui l’ont véritablement fait triper.

« Ce fruit, encore peu cultivé verticalement, offrait le défi parfait », dit-elle fièrement.

Et ce défi, Ophelia l’a relevé avec brio, soutenue par sa famille qui, depuis le départ, l’a accompagnée dans cette aventure hors du commun.

« Mon père a toujours cru en moi, et aujourd’hui, je travaille avec mon futur mari, qui fait partie intégrante de ce projet », confie-t-elle.

« Lorsque vous faites quelque chose qui a du sens pour vous, c’est tout le monde autour de vous qui embarque », ajoute la trentenaire.

De belles fraises québ

Parlons un peu de ces fameuses fraises maintenant. Ici, chaque fruit est cultivé dans un environnement contrôlé, sans pesticides, et sans même avoir besoin du soleil d’été.

Les fraises, vendues au marché Jean-Talon et dans les paniers des Fermes Lufa, ne passent pas inaperçues. Leur fraîcheur et leur goût se démarquent, bien loin des produits importés, souvent en transit pendant des jours dans des camions ou des avions.

Mais je vous entends, cultiver des fraises à l’intérieur, loin des champs, ça doit être tout un défi logistique et financier ?

« Le coût de la main-d’œuvre est élevé, tout comme celui des équipements nécessaires pour recréer un climat parfait et exempt de pesticide », nomme-t-elle.

Ces contraintes se reflètent sur le prix des fraises, plus élevé que celui des produits importés. À titre de référence, elles se vendent à 10 $ pour la barquette de 600 grammes, considérablement plus cher que ses concurrentes du Sud qui occupent le marché québécois en hiver.

On s’entend, ce n’est pas donné pour faire une confiture de fraises.

« On veut que ce soit accessible à un maximum de personnes, et on y travaille. L’automatisation, l’augmentation de la production, tout ça nous permettra de réduire les coûts à long terme », précise l’entrepreneure.

À terme, elle souhaite explorer d’autres petits fruits, comme les bleuets et les framboises, et étendre son modèle à d’autres régions du Québec, voire au-delà.

D’ailleurs, son ambition ne se limite pas au succès commercial. Ophelia aimerait éventuellement contribuer à la sécurité alimentaire des régions plus isolées du pays, comme le Grand Nord, où les fruits frais sont rares et coûteux.

L’agriculture urbaine, selon elle, pourrait être la clé pour alimenter ces territoires tout en préservant l’environnement. Un objectif valeureux, voire très ambitieux, mais qui vient du cœur, je le sens.

« On économise 95 % d’eau par rapport à l’agriculture traditionnelle, et ça, dans des régions où l’eau est une ressource précieuse, cela peut vraiment faire la différence », laisse tomber la femme d’affaires avec espoir.

Chaque pas en avant dans ce projet est porté par la passion d’Ophelia, la force de son équipe, et le soutien indéfectible de sa famille. Pour elle, l’avenir de l’agriculture urbaine n’est pas un concept lointain, c’est une réalité déjà en marche.

Cet après-midi gris de janvier, lorsque je suis ressorti de l’immeuble, j’ai eu l’impression de m’extirper d’un long rêve éveillé. Après avoir attendu le bus pendant 30 minutes à -20 degrés (un excellent reality check), je suis retourné chez moi avec un énorme craving de shortcake aux fraises.

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Crédits

Conseil - Rebecca Dziedzic
Design - Julien Baveye
Développement - Vincent Rouleau